Ce texte a été publié la première fois en février 2025 dans la rubrique “Actualité de la recherche” des Cahiers pédagogiques (n°598).
Être étudiant·e, c’est faire l’expérience du passage à l’âge adulte, subir une pression pour réussir ses études, ou encore être traversé·e par des questionnements sur ses choix d’orientation scolaire et professionnelle. Autant d’épreuves qui permettent de qualifier ce passage de l’existence comme « à risque ». La crise sanitaire a marqué un tournant dans la publicisation et la prise en compte de la santé mentale des étudiant·es. Les enquêtes de santé publique se sont depuis multipliées pour objectiver leurs souffrances psychiques, révélant une détérioration croissante de leur santé mentale. Au-delà des chiffres, quelles réalités derrière ces résultats préoccupants ?
L’enquête sur la Santé des étudiants[1] révèle que 1/5 de cette population présente des signes d’une détresse psychologique se manifestant par des symptômes de nature anxio-dépressive (fatigue excessive, irritabilité, tristesse, sentiment d’inutilité, troubles alimentaires…). Plus spécifiquement, les épisodes de dépression majeure sont présents chez 4,6% de la population étudiante, contre 3,2% au sein de la population générale[2]. Une santé mentale dégradée constitue une réelle entrave à la réussite dans l’enseignement supérieur : les étudiant·es traversant un épisode dépressif majeur déclarent avoir interrompu leurs études près de deux mois en raison de symptômes handicapants. Une partie de celles et ceux qui ont connu des symptômes de détresse psychologique a déclaré avoir abandonné avant les examens de premier semestre ou avoir échoué à ces derniers.
Qui sont les étudiant·es les plus vulnérables ?
Certaines catégories d’étudiant·es sont davantage touchées par des épisodes de détresse psychologique. Il existe en premier lieu de fortes disparités selon le genre : 35% des femmes sont concernées par une dégradation épisodique ou durable de leur santé mentale, contre 13% des hommes[3]. S’il n’existe pas de consensus pour expliquer cette différence, plusieurs pistes de recherche tendent à croiser des facteurs biologiques à des arguments d’ordre social (plus de pression pour la réussite scolaire, exposition à des violences sexistes et sexuelles, injonctions contradictoires…) pour comprendre la souffrance des jeunes femmes. À cette première variable, s’ajoute une forte corrélation entre types de filières et risque de souffrance psychique. Les données relatives aux parcours universitaires montrent que les étudiant·es des filières littéraires et sciences humaines et sociales ont plus de risque de présenter un épisode dépressif et des idéations suicidaires, essentiellement lors de l’accès à l’université. Face à cette surreprésentation, les chercheur·ses émettent l’hypothèse d’une perception pessimiste quant aux perspectives d’insertion professionnelle à l’issue de leurs études. La population étudiante des filières en santé est aussi particulièrement touchée par des épisodes de souffrances psychiques, fortement associées à des emplois du temps chargés, partagés entre temps d’enseignement et périodes de stage, et à des parcours d’études caractérisés par des logiques d’excellence et de classement.
Enfin, des conditions sociales plus défavorables comme un budget mensuel inférieur à 800 euros, une absence de soutien familial pour l’alimentation, le fait de ne pas bénéficier d’une bourse ou encore de demander une aide d’urgence sont fortement associées à des risques d’épisode de dépression majeure.
Comment sont menées les enquêtes sur la santé mentale ?
Au regard des études signalant une détresse psychologique patente parmi la population étudiante, il convient cependant d’être prudent : si les recherches révèlent une aggravation bien réelle de sa santé mentale depuis la crise sanitaire, ces résultats peuvent aussi être analysés à la lumière de la diversité des façons de construire et de répondre aux questionnaires d’enquête[4]: « La mesure de la santé mentale demeure subjective et, contrairement à la mesure de la température, la compréhension des mécanismes sous-jacents demeure complexe et insuffisamment connue, ce qui affecte sa validité en tant qu’outil de mesure[5] ». Les chercheur·ses disposent d’une certaine liberté dans l’évaluation et la mesure de la santé mentale des populations : d’un dispositif d’enquête à un autre, les résultats peuvent varier considérablement. Ils et elles émettent aussi l’hypothèse que la crise sanitaire et les focus médiatiques sur la santé mentale ont permis de rendre plus visible et plus lisible cette problématique, et qu’il est ainsi davantage accepté socialement d’évoquer ses difficultés psychologiques.
Pour aller plus loin : Lauricella, M. (2024). Souffrances adolescentes : quand la santé mentale traverse les frontières de l’éducation. Dossier de veille de l’IFÉ, 148, avril. ENS de Lyon.
[1] Belghith, Ferès, Beswick, Claire et Verley, Élise (2020). Chapitre 5. Problèmes de santé, souffrances psychiques et investissements studieux. Dans Belghith, Ferès, Bohet, Aline, Morvan, Yannick, Régnier-Loilier, Arnaud, Tenret, Élise et Verley, Élise (dir.), La santé des étudiants (p. 85 -99 ). La Documentation française.
[2] Morvan, Yannick et Chaumette, Boris (2020). La dépression et le suicide chez les étudiants d’université. Dans Ibid. (p. 69‑83). La Documentation française.
[3]Belghith, Ferès, Beswick, Claire et Verley, Élise (2020). Chapitre 5. Problèmes de santé, souffrances psychiques et investissements studieux. Dans Belghith, Ferès, Bohet, Aline, Morvan, Yannick, Régnier-Loilier, Arnaud, Tenret, Élise et Verley, Élise (dir.), La santé des étudiants. (p. 85 -99 ). La Documentation française.
[4] Morvan, Yannick et Frajerman, Ariel (2021). La santé mentale des étudiants : Mieux prendre la mesure et considérer les enjeux. L’Encéphale, 47(6), 620‑629.
[5] Facon-Barillot, Quentin, Romo, Lucia, Vansimaeys, Camille, Chevance, Astrid, Frajerman, Ariel et Morvan, Yannick (2023). La santé mentale, son importance et sa mesure chez les étudiants dans les enquêtes de l’OVE depuis 2016. Dans Être étudiant avant et pendant la crise sanitaire. Enquête conditions de vie 2020, La documentation française, p. 176.
OpenEdition vous propose de citer ce billet de la manière suivante :
Marie Lauricella (1 septembre 2025). La santé mentale des étudiant·es sous l’oeil des chercheur·ses. ÉDUVEILLE. Consulté le 7 novembre 2025 à l’adresse https://doi.org/10.58079/14dms