L’histoire de la forme scolaire (Vincent et al., 1994) nous montre à quel point l’école conditionne la réussite à l’assimilation par le corps des normes spécifiques imposées par l’institution scolaire. Considéré comme un élément perturbateur brouillant les apprentissages, le corps de l’élève est constamment assujetti au contrôle des regards enseignants. En effet, le fonctionnement de la classe repose sur le principe de l’acceptation et de l’intériorisation des normes scolaires par les élèves : le corps doit être docile, discipliné, immobile, redressé, attentif et concentré, c’est-à-dire prêt à accueillir le savoir. Il apprend à s’adapter, parfois à s’effacer ou, par opposition, à aller à l’encontre des normes imposées, ce qui génère alors les comportements tant redoutés par l’équipe éducative comme le manque d’attention, l’agitation permanente ou certaines attitudes jugées provocantes ou irrespectueuses (Boudlali et Zanna, 2023).
Bien que cette question soit peu présente dans les préoccupations éducatives, la manière dont le corps est accueilli à l’école joue un rôle essentiel dans les apprentissages. En effet, les usages du corps sont multiples et nécessitent de prendre en considération les préoccupations qu’ils suscitent.
Des travaux sociologiques, comme ceux de Millet et Thin, considèrent que le « corps scolaire » est le fruit d’un processus historique qui « s’est imposé comme le corps normé dominant à l’aune duquel se construisent les perceptions institutionnelles de la normalité ou de l’anormalité des corps et de ceux qui les agissent » (2007). Les chercheurs montrent que le refus de conformité aux postures corporelles attendues en milieu scolaire est perçu par le personnel éducatif comme une forme de déviance ou comme le signe de difficultés potentielles (cognitives, psychologiques ou familiales), qui rendraient l’élève inéducable : ses attitudes physiques sont jugées et interprétées selon un système de critères propres à chaque enseignant·e. Cette lecture du corps à partir d’indices posturaux, physiques ou vestimentaires contribuerait à une catégorisation stéréotypée, souvent discriminatoire, des capacités cognitives et des performances scolaires.
Aussi, dans la continuité du Dossier de veille de l’Ifé n° 126 de 2018, l’Édubref n° 24 de décembre 2024 s’intéresse aux différents statuts du corps à l’école et met en lumière les enjeux de l’accueil des élèves, et donc de leur corps physique, dans l’enceinte scolaire.
Pour citer cet Édubref : Gaussel, M. (2024). Le corps au cœur de l’école. Édubref, [24], décembre. ENS de Lyon
Références bibliographiques
- Boudlali, B. et Zanna, O. (2023). Le contrat pédagogique au service du bien-être subjectif des élèves perturbateurs dans l’institution scolaire. Dans J.-F. Bruneaud, Y. Montoya et Z. Ben Chaâbane (dir.), Le bien-être au prisme des violences scolaires : Espaces, corps, valeurs. Presses universitaires de Bordeaux.
- Gaussel, M. (2018). Que fait le corps à l’école ? Dossier de veille de l’IFÉ, (126).
- Millet, M. et Thin, D. (2007). Le classement par corps. Les écarts au corps scolaire comme indice de « déviance » scolaire. Sociétés et jeunesses en difficulté. Revue pluridisciplinaire de recherche (n° 3).
- Vincent, G., Lahire, B. et Thin, D. (1994). Sur l’histoire et la théorie de la forme scolaire. Dans G. Vincent (dir), L’Éducation prisonnière de la forme scolaire ? : Scolarisation et socialisation dans les sociétés industrielles (p. 11‑48). Presses universitaires de Lyon.
OpenEdition vous propose de citer ce billet de la manière suivante :
Marie Gaussel (11 décembre 2024). Le corps de l’élève dans le cadre scolaire. ÉDUVEILLE. Consulté le 14 février 2025 à l’adresse https://doi.org/10.58079/12w4b
Bonjour,
Je vous remercie pour vos remarques très intéressantes. Malheureusement, le format court de l’Édubref nous contraint en termes de nombres de références. Néanmoins, je garde en tête les travaux que vous citez pour un prochain écrit sur le corps. Bien cordialement, Marie Gausse
bonjour,
En tant que chercheur dans ce domaine, je regrette que “Le corps au cœur de l’école”, suite au dossier de l’Ifé de 2018, laisse encore autant de côté de nombreux travaux en Sciences du langage. Certes, un texte de Tellier & Eschenauer est cité, mais cela est bien peu par rapport à l’existant. Pourtant, la question du corps dans l’enseignement et sa perception par les élèves y est largement traité: les travaux de Tellier sont essentiels (rôle du geste dans la mémorisation et l’apprentissage), tout aussi importants sont les études d’Azaoui (sur la proxémie, sur les gestes, le regard…), de Soulaine (sur les gestes et l’apprentissage phonétique), Eschenauer ou Aden concernant le corps dans une approche énactive, etc.
Bien à vous, Brahim Azaoui