Prescillia Micollet est doctorante en sciences de l’éducation et de la formation au sein du laboratoire Éducation, Culture et Politique (ECP) de l’Université Lumière Lyon 2. Ses recherches portent principalement sur l’éducation à la sexualité dans les écoles primaires, ainsi que sur des thèmes connexes tels que la citoyenneté sexuelle et le consentement. Elle s’intéresse également aux questions socialement vives, à la sociologie du curriculum et à l’éducation à la sexualité dans le second degré.
L’équipe Veille et Analyses a souhaité l’inviter à venir présenter son parcours et ses travaux.
Le 5 novembre 2024, une journée d’étude intitulée « Éducation à la sexualité » s’est tenue à l’Université Lumière Lyon 2, rassemblant chercheur·es et doctorant·es pour partager et confronter leurs travaux sur cette thématique. Deux chercheur·es suisses, Chiara Boraschi (sciences humaines) et Thierry Delessert (histoire sociale de l’éducation), ont présenté leurs recherches aux côtés des membres du projet SexEducation, une équipe pluridisciplinaire composée notamment d’Anne-Cécile Bégot, Xavier Pons, Yves Verneuil, Sandie Bernard, Simon Massei, Dylan Racana et Prescillia Micollet. Cette journée, initiée par le projet SexEducation, s’inscrit dans des travaux débutés en septembre 2023 et prévus jusqu’en 2026, portant sur « les politiques d’éducation à la sexualité en milieu scolaire : une approche multiniveau du cas français ». Ce croisement des perspectives françaises et suisses permet d’approfondir une thématique encore sensible et débattue, bien qu’introduite en France avec la circulaire Fontanet de 1973 sous l’appellation « information sexuelle » et « éducation sexuelle ». Comprendre les enjeux, évolutions et freins de l’éducation à la sexualité reste essentiel dans un contexte où l’éducation à « l’égalité des sexes et des sexualités » (Pasquier, 2019), à la tolérance et à la construction citoyenne est plus nécessaire que jamais. Il est crucial d’interroger les déclinaisons académiques de ces politiques et la manière dont les enseignant·es s’en saisissent au quotidien, car cette thématique demeure une « question chaude » (Verneuil, 2024).
Historique et institutionnalisation de l’éducation à la sexualité
Lors de la matinée, les chercheur·es ont rappelé les moments clés de l’éducation à la sexualité (EAS) en France et en Suisse. Chiara Boraschi (docteure en histoire, université de Lausanne) a analysé les débats et politiques sur la sexualité dans le Tessin entre 1960 et 1980, période marquée par une modernisation rapide. S’appuyant sur la sociologie des problèmes publics, elle a étudié l’éducation sexuelle scolaire et les centres de planning familial, montrant comment des mouvements progressistes ont mobilisé médias et institutions pour promouvoir ces thématiques, malgré l’opposition de médias conservateurs. À travers un corpus varié (articles de presse, archives, entretiens), elle a démontré que ces débats ont diffusé une information scientifique, renforcé l’égalité des sexes et encouragé l’esprit critique chez les jeunes. Cette intervention souligne comment des dynamiques locales éclairent les enjeux universels de l’éducation sexuelle.
Par la suite, Yves Verneuil (professeur des universités en sciences de l’éducation) a retracé l’évolution de l’éducation à la sexualité en France, depuis son introduction facultative jusqu’à son institutionnalisation obligatoire par la loi du 4 juillet 2001. La circulaire Fontanet distinguait l’information sexuelle, obligatoire et intégrée aux programmes scolaires, de l’éducation sexuelle, facultative, organisée sous forme de séances spécifiques hors des heures de cours, parfois animées par des intervenant·es extérieurs·es, tout en associant les parents au processus. Yves Verneuil a également montré les continuités entre la circulaire de 1998 et celle de 2003, malgré l’alternance politique de 2002, grâce à la pérennité des groupes de travail initiés sous l’égide de Ségolène Royal. Enfin, il a évoqué des évolutions récentescomme la circulaire Pap Ndiaye de 2022, par exemple en intégrant des modules spécifiques sur le consentement et la prévention du harcèlement scolaire dans les programmes, tout en notant certaines limites, telles que l’exclusion des classes de maternelle dans la circulaire de 2018.
Représentations de la sexualité dans les manuels scolaires
Sandie Bernard (maitresse de conférences en éducation et santé en milieu scolaire) a retracé l’évolution des manuels scolaires français, mettant en lumière les changements dans la représentation du corps humain et de la sexualité. Avant 1973, les programmes se limitaient à l’hygiène, excluant les organes génitaux et toute référence au sexe. Les premières illustrations de la fécondation apparaissent en 1968, mais restent schématiques. En 1973, la reproduction humaine entre dans les programmes, avec une éducation sexuelle limitée à des séances spécifiques hors cours. En 1983 et 1989, les manuels incluent des schémas des organes génitaux humains, sans mentionner le plaisir. Dans les années 2010, ils abordent des sujets comme la fertilité, la grossesse, et le respect de soi, marquant une ouverture. En 2024, l’éducation à la sexualité s’intègre pleinement aux programmes, reflétant une approche plus inclusive et respectueuse.
Sensibilisation par les campagnes médiatiques : l’exemple du VIH/SIDA en Suisse
Thierry Delessert (collaborateur scientifique II, FPSE, Université de Genève) a analysé l’évolution des campagnes de sensibilisation au VIH/SIDA diffusées par la Télévision suisse romande, centrées sur l’efficacité de l’approche choquante. Il a présenté des vidéos marquantes, comme Death Bowling, où la mort, figurée par une boule de bowling, illustre les dangers du virus, et une émission interactive où des jeunes débattaient des risques liés au VIH. Cependant, certaines campagnes, comme celle d’une autruche « grimpée » par un mâle représentant le VIH, ont été critiquées, car considérées comme stigmatisantes ou effrayantes. Delessert a souligné l’importance de trouver un équilibre entre choc visuel et transmission responsable, pour encourager des comportements préventifs sans susciter la peur. Cette conclusion s’appuie sur ses travaux dans le cadre du projet de recherche Sexualité et Télévision mené au sein de l’Université de Genève, où il analyse l’impact des représentations médiatiques sur la perception de la sexualité, dans une démarche rigoureuse et fondée sur des données empiriques.
L’égalité des sexes au travers des associations agréées par l’Éducation nationale
Simon Massei (maitre de conférences en sciences de l’éducation) a présenté ses travaux sur la politique d’éducation à l’égalité des sexes, en soulignant la sous-traitance fréquente de cette éducation à des associations externes. Il a identifié trois dynamiques principales : la professionnalisation des associations, qui sont devenues des actrices incontournables dans ce domaine ; le rôle de l’État, qui les soutient par des financements et un cadre législatif pour mettre en œuvre ses politiques d’égalité ; et les enjeux de l’intervention, qui incluent des thématiques telles que les stéréotypes de genre et la violence domestique, souvent abordées avec des méthodes participatives visant à impliquer les jeunes. Cette analyse met en évidence l’interdépendance entre les politiques publiques et les actions des associations dans l’évolution des pratiques éducatives en matière d’égalité des sexes 1.
Enjeux liés à l’implication des différents acteurs dans l’EAS
L’étude comparative menée par Anne-Cécile Bégot (maitresse de conférence en sociologie) et Xavier Pons (professeur des universités en sciences de l’éducation) sur l’institutionnalisation de l’éducation à la sexualité dans deux académies met en évidence des différences notables entre les approches des académies A et B (nommées ici « Académie A » et « Académie B » pour des raisons de confidentialité). Dans l’académie A, l’accent est mis sur une approche plus flexible et adaptative, prenant en compte les réalités locales. Par exemple, une attention particulière est portée aux problématiques liées à la communauté des enfants du voyage, avec une forte implication des formatrice·eurs qui apprennent souvent « sur le tas » à partir des demandes des enseignant·es. L’objectif est de dédramatiser sur la sexualité et de la considérer comme un processus complexe se construisant tout au long de la vie. Depuis 2014, cette académie semble bénéficier d’une certaine autonomie, notamment en mettant l’accent sur l’égalité entre les sexes et la lutte contre les discriminations. À l’inverse, dans l’académie B, l’approche est plus institutionnalisée et structurée. L’éducation à la sexualité y est surtout gérée à l’échelon rectoral, où les autorités académiques s’appuient sur des référent·es et des formateurs·trices spécialisé·es pour mettre en place des formations systématiques dans les établissements scolaires. Ici, la politique éducative est perçue comme étant principalement axée sur la prévention des risques biologiques et la promotion de la santé publique. De plus, l’approche dans l’académie B repose davantage sur la conformité aux directives nationales et la gestion centralisée des sessions de sensibilisation.
Dylan Racana et Prescillia Micollet (doctorant·es en sciences de l’éducation) ont analysé la diversité des acteur·trices impliqué·es dans l’éducation à la sexualité (EAS), en incluant des professionnel·les varié·es tels que des enseignant·es, des infirmières, des conseiller·ères techniques, etc.et des niveaux de formation allant de la maitrise au doctorat. Leur engagement est souvent motivé par le souhait d’élargir leurs compétences et de répondre aux enjeux de santé sexuelle et de violences sexistes. Les thématiques qu’ils et elles abordent varient : certains considèrent toutes les questions importantes, tandis que d’autres privilégient des sujets spécifiques comme l’égalité des sexes, les droits LGBT ou les violences sexuelles. Si certaines académies collaborent avec des associations spécialisées, d’autres évitent de s’associer à des organisations externes par crainte de discours militants ou à cause de contraintes logistiques. Parmi les obstacles, on retrouve la réticence des parents, le manque de formation continue pour les enseignantes, des problèmes budgétaires et des difficultés organisationnelles. Certain·es enseignant·es se sentent démuni·es face à des enjeux complexes et aux conflits entre valeurs éducatives et croyances religieuses ou culturelles.
Enfin, Floriane Robic (professeure des écoles) et Prescillia Micollet ont mis en lumière plusieurs enjeux cruciaux concernant la mise en œuvre de l’Éducation à la Sexualité (EAS) dans le primaire. Nous avons observé que la méconnaissance des prescriptions officielles peut entrainer une interprétation erronée des pratiques en EAS, poussant les enseignant·es à ajuster leurs pratiques selon leurs croyances et attitudes personnelles. Si ces dernières peuvent être positives, elles peuvent aussi poser problème si les enseignant·es imposent leurs convictions ou minimisent certains enjeux. La formation continue est un levier clé pour mieux comprendre le curriculum et légitimer les pratiques. Cependant, elle doit prendre en compte les spécificités locales, comme les contextes géographiques ou socioéconomiques, qui influencent la manière d’aborder des sujets sensibles. Ainsi, renforcer l’intégration entre les valeurs personnelles des enseignant·es et le curriculum formel, à travers des formations adaptées et des ressources complémentaires (référent·es, conseiller·ères pédagogiques), est essentiel pour aider les enseignant·es dans l’enseignement de l’EAS.
Conclusion
L’éducation à la sexualité (EAS) constitue un levier essentiel pour promouvoir l’égalité, la tolérance et le respect mutuel dans nos sociétés. Cette journée d’étude a mis en lumière plusieurs enseignements majeurs :
- Il existe une pluralité de stratégies entre les pays et même au sein des académies, reflétant l’influence des contextes locaux, des dynamiques institutionnelles, et des ressources disponibles.
- Les collaborations avec des associations spécialisées apparaissent comme un levier puissant pour enrichir et diversifier les pratiques pédagogiques, bien qu’elles posent parfois la question de la cohérence entre discours institutionnel et actions de terrain.
Les discussions ont également mis en lumière les obstacles qui freinent encore la pleine mise en œuvre de l’EAS :
- Résistances culturelles : certaines communautés expriment des réticences face à des contenus jugés sensibles, soulignant la nécessité d’une approche adaptée et dialoguée.
- Formation insuffisante : le manque de formation initiale et continue des enseignants entrave leur capacité à aborder ces sujets avec assurance et légitimité.
- Réception des politiques éducatives : l’adhésion des enseignant·es, mais aussi des parents, reste un enjeu crucial pour garantir une mise en œuvre efficace et cohérente.
Cette journée a permis de dégager plusieurs questions clés, appelant des réponses nuancées et contextualisées :
- Normes et innovation : comment concilier le besoin de choquer pour éveiller les consciences avec le respect des normes éducatives et sociales ?
- Légitimité des enseignant·es : Comment accompagner les enseignant·es afin qu’iels se sentent légitimes dans leur rôle, en surmontant les éventuels conflits entre leurs convictions personnelles et leur mission professionnelle ?
- Temps formels et informels : Comment la distinction entre les moments institutionnalisés et les interactions spontanées dans l’EAS peut-elle être explorée pour mieux comprendre comment ces deux dimensions se complètent ?
- Éducation dès la maternelle : Pourquoi la France hésite-t-elle encore à intégrer l’EAS à ce niveau, alors que l’exemple suisse montre qu’une approche précoce et globale est possible et bénéfique ?
Pour aller plus loin :
- Bégot, A.-C., & Portier, P. (2024). Éduquer à la sexualité : Religions, laïcités, sexualités. Pédagogies.
- Court, M. (2023). Parler de sexualité à ses enfants. Les appropriations différenciées d’une norme éducative contemporaine.Actes de la recherche en sciences sociales, 249 (4), 38-53.
- Gaussel, M. (2022). Le sexe, le genre et l’égalité (à l’école). Dossier de vieille n° 140, Mars.
- Micollet, P. (2024). L’éducation à la vie affective : quels enjeux en CM2 ? The Conversation.
- Pasquier, G. (2019). Construire l’égalité des sexes et des sexualités : Pratiques enseignantes à l’école primaire. Rennes, Presses universitaires de Rennes.
- Verneuil, Y. (2024). Une question chaude : Histoire de l’éducation sexuelle à l’école, France, XXe-XXIe siècle. Peter Lang.
- Les débats politiques sur l’éducation à la sexualité restent vifs, opposant souvent des visions divergentes sur le rôle de l’école dans ce domaine. D’un côté, certains soutiennent une approche inclusive axée sur l’égalité des sexes, la prévention des discriminations et le respect des diversités. De l’autre, des oppositions émergent, notamment autour des questions de contenus perçus comme inappropriés pour certains âges ou contraires à des convictions culturelles ou religieuses. Ces tensions ont ressurgi récemment dans le contexte des réformes initiées par le ministère de l’Éducation nationale en 2022 et 2023.
OpenEdition vous propose de citer ce billet de la manière suivante :
pmicollet (12 décembre 2024). Une journée pour réfléchir à l’Éducation à la sexualité. ÉDUVEILLE. Consulté le 14 février 2025 à l’adresse https://doi.org/10.58079/12won
Très intéressant. Bonne idée cette invitation !