Archives mensuelles : janvier 2012

iLearning, e-learning et rapid learning font salon

Le 31 janvier prochain s’ouvre le iLearning Forum, à Paris. Prenant la suite d’eLearn Expo, cette manifestation est consacrée, comme on l’aura deviné, aux technologies de l’apprentissage pour le monde de l’éducation et de l’entreprise.

Habituellement, nous signalons sur notre site les colloques et conférences « académiques ». Celui-ci, comme d’autres sur l’éducation, la formation professionnelle et le e-learning, mêlera présentation de produits et ateliers.  La question est de savoir s’il convient de faire une frontière entre le e-learning en entreprise et le e-learning à l’université (par exemple) ? Faut-il opérer une franche césure entre le monde de l’entreprise et le monde de l’éducation ?

Sans doute non, car la formation continue, professionnelle, lien entre ces deux mondes, est bien la preuve de l’usage d’outils communs.

La lecture du programme des ateliers montre que s’il s’agit d’un salon professionnel, avec des présentations « produits », l’exposé d’expériences en entreprise ou en centre de formation donne du grain à moudre pour les opérateurs publics et les équipes de recherche, déjà sur le créneau, certes, mais qui ont quelques difficultés à mettre en application dans le système éducatif, ce qui ne s’apparente plus tout à fait à de l’innovation. Sans doute faut-il se poser des questions sur le modèle économique sous-jacent : quel est le coût de dispositifs élaborés par les départements R&D des entreprises et les centres de recherche universitaires (une histoire de retour sur investissement ?), quelle capacité (ou compétence) de diffusion des résultats de la recherche publique ?

Un des ateliers est consacrés au Rapid learning, concept apparu il y a une dizaine d’années. Voici ce que « Le blog de l’actualité e-learning » nous en dit : Le “rapid learning” se base sur un principe simple. Il s’agit de confondre les étapes de scénarisation et réalisation pour n’en tirer qu’une unique phase de conception finale, ce qui représente un réel avantage pour le responsable de formation. Celui-ci peut alors s’appuyer sur un diaporama ppt prévu initialement pour du présentiel, pour en faire une ressource e-learning. Les outils de “rapid learning” […] permettent de réaliser des modules pédagogiques transmissifs courts (15-20 min de préférence), qui abordent des thèmes souvent généralistes et couramment mis à jour. La vitesse des modules de formation générés par le “rapid learning” tient donc à la fois dans la conception et dans l’apprentissage ». Ce même blog en cite les inconvénients : possibilités pédagogiques limitées, qualité de la scénarisation et de la pédagogie parfois négligée, objectif plutôt d’information plutôt que de formation, interactivités limitée, démarche transmissive. Il semble que les avantages évoqués soient plus du côté des producteurs de formations : baisse des coûts, prise en main rapide de l’outil pour les formateurs, etc.

Ceci explique peut-être pourquoi les producteurs de produits de e-learning font appel aux « professionnels de l’éducation » pour les aider sur le volet pédagogique de leur produit. Comme à l’école, il s’agit de se centrer sur l’usager et ses apprentissages et pas uniquement sur la performance technologique.

Le Français langue d’intégration

« A partir du 1er janvier 2012, le candidat à la nationalité devra prouver qu’il maîtrise le français au niveau « B1 oral », défini par le référentiel des langues utilisé en Europe. Ce niveau correspond à celui acquis en fin de scolarité obligatoire ». Tel sont les nouvelles conditions introduites par la loi du 16 juin 2011 relative à l’immigration, l’intégration et la nationalité.
Les candidats à la nationalité française devront prouver avoir atteint ce niveau en fournissant un diplôme ou une attestation délivrée par des organismes de formation habilités (labellisés « français langue d’intégration ».). D’autres organismes ont été agrées par le ministère de l’intérieur : il s’agit du Centre international d’études pédagogiques (CIEP), de la chambre de commerce et d’industrie de Paris (CCIP), de l’université de Cambridge et l’Alliance française, de l’Education Testing Service.

Un arrêté, datant du 25 novembre 2011, définit un référentiel FLI « français langue d’intégration ». Le concept de FLI a été initié par la Délégation générale à la langue française et aux langues de France (DGLF) et la Direction de l’accueil, de l’intégration et de la citoyenneté.
Ce référentiel a été produit par la société Ecrimed à l’attention des organismes de formation. L’appellation FLI (après FLE, FLES), le dispositif contraint de labellisation et notamment les compétences requises par les formateurs, ont suscité de nombreuses réactions.

L’émission 28 minutes, sur Arte, a consacré son édition du 19 janvier au FLI, du point de vue des apprenants – des migrants. L’animatrice, Élisabeth Quin, a proposé quelques items issus de tests de validation du FLI. De quoi laisser songeurs des diplômés Bac + 5. Sans doute le choix opéré avait-il pour objet de faire réagir les invités, Tahar Ben Jelloun, Alan Bentolila et Cécile Ladjali.

Sébastien Bohler, neurobiologiste, qui intervient régulièrement dans l’émission, a jeté le trouble en indiquant que la molécule d’intégration sociale, l’ocytocine, favorise l’ethnocentrisme (attachement aux gens avec qui on vit) et que d’autres molécules, les nonapeptides, créent l’attachement à un lieu, le socle de l’identité d’un individu. Or, ces molécules sont apparues bien avant l’apparition du langage. Les nonapeptides peuvent induire un attachement à la France sans qu’on sache parler le français. Inversement on peut parler français sans attachement au territoire français. La langue vient comme un facilitateur d’intégration ; si l’attachement n’est pas préalable, la langue ne sert alors que de discriminant entre tel ou tel individu.

D’autres exemples de test :
– Test de connaissance du français (TCF), manuel du candidat, CIEP,
– Test d’Evaluation de Français (TEF), pour se préparer, CCIP,
– Test de français international (TFI), Education Testing service.

Sources et compléments :

  •  Mission communication Secrétariat général à l’immigration et à l’intégration (2011). La réforme du contrôle de la connaissance de la langue française par les candidats
à la nationalité. Paris : Ministère de l’intérieur (16 p., PDF).
  • Le blog du site Médiapart a publié une tribune ouverte à des universitaires contestant le contrôle des formations de français destinées aux adultes migrants (9 nov. 2011) et son contrepoint produit par les auteurs du référentiel et d’autres acteurs de la formation linguistique (16 nov. 2011).
  • Springer Claude (2011). « La fracture didactique : FLI, label et apprentissage ».  Blog Didactique des langues/FLE., 16 novembre.

Les propositions des “laboratoires d’idées” pour l’école.

L’émission « Rue des écoles », diffusée le mercredi sur France Culture, et animée par L. Tourret a organisé, mercredi 11 janvier, un débat avec Laurent Bigorgne, directeur de l’Institut Montaigne, Ismaël Ferhat coordinateur du pole éducation de Terra nova , et rapporteur du rapport « école 2012 : faire réussir tous les élèves » ,  Jean-Thomas LESUEUR délégué général de I’Institut Thomas More,  José Tovar, membre du GRDS (Groupe de Recherche sur la Démocratisation Scolaire).
Quelles sont les grandes lignes de ce débat?

1er sujet proposé par Louise Tourret : à quel âge entrer à l’école ?
On constate des inégalités territoriales en matière d’intégration précoce à l’école et un accueil plus favorable à cette intégration dans les banlieues aisées. Or, on sait que l’école maternelle est importante pour réduire les inégalités entre milieux favorisés et défavorisés.
Pour certains Think Tank le débat porte aussi sur le coût de l’éducation : « aucun débat possible sur la non école ou un investissement tardif/ intégration précoce ». En Angleterre, où il y a eu de nombreuses coupes budgétaires dans l’éducation, aucune coupe n’a été faite dans la petite enfance. Pour J.T. Lesueur, il faut laisser la liberté  aux parents d’inscrire ou non leur enfant à la maternelle. Pour L. Bigorgne, qui veut rester normatif, si on en reste aux faits, l’intégration précoce se traduit par une réussite facilitée, moins de faits de violence.

2ème sujet : illettrisme : pourquoi l’échec de l’école primaire et pourquoi tant d’enfants lisent si mal à la sortie du CM2?
L. Bigorgne  fait référence à un article du Monde (09/01/2012) sur l’illettrisme, citant le travail de Michel Zorman et le programme Parler! et  Parler Bambin! , la pédagogie explicite et les outils  utilisés. dans ce programme. [on trouvera une présentation sur le site de l’Institut Montaigne].
Les intervenants sont d’accord pour dire que pour mieux lutter contre l’illettrisme, il est nécessaire  de mieux former les enseignants à l’apprentissage. Il y a deux attitudes possible par rapport à l’illettrisme : “avoir le cœur sur la main” et organiser une aide ou un soutien (accomapgnement scolaire, précise L. Tourret) en dehors du temps scolaire ou bien prendre en compte qu’il existe une personne qui passe 25 heures par semaine avec les élèves : l’effet-maître est  réducteur de l’effet ghetto . “Ça doit se passer dans la classe”  (cf. documentaire sur France 5 “l’école à bout de souffle“).
Pour J . Tovar, la querelle des méthodes n’est pas épuisée ! Aucune méthode n’a produit des résultats exceptionnels. Il faut former les enseignants, c’est fondamental, car les enseignants trouvent ce qui marchent plus avec certains élèves et/ou moins avec d’autres. Se former sur le tas, ce qui est le cas actuellement, rend cette adaptabilité impossible. Pour L. Bigorgne , très attaché à la dimension économique du sujet, il s’agit de redresser les errements du système avec peu de moyens.
J. Tovar mentionne le travail actuel de  J. Pierre Terrail et Janine Reichstadt qui  testent une méthode syllabique avec des élèves en difficulté et ça marche, assez paradoxalement  [cf monde diplomatique, septembre 2011) [NB : J.-P. Terrail fait partie du GRDS].
Autre point ayant fait l’objet d’un échange rapide sur le sujet de l’apprentissage de la lecture: l’évaluation des expérimentations (cf. blog de Cédelle). Difficile de faire de l’innovation …

3ème question : L’école primaire sous dotée dans le système français ?
Pour que la France soit dans la moyenne de l’OCDE, il faudrait qu’elle dépense 1000 euros de plus par enfant. (24% inférieur à la moyenne OCDE). On a préféré mettre l’argent dans les lycées et la fin de la scolarité, dont les BTS et les classe prépa. Selon les quatre intervenants, ce choix fut aussi bien de droite comme de gauche, le débat s’est porté sur l’avis des syndicats sur le sujet (favorables ou pas?). Pour I. Ferhat, le choix a été  d’acheter la paix sociale dans le secondaire (par le financement).
Globalement, il y a donc, en cette période de campagne électorale, trois priorités : le primaire, l’éducation prioritaire et la formation des enseignants. L’essentiel est dans la classe, il s’agit de revaloriser le rôle du prof, sa formation, il y a une besoin de confiance dans les enseignants : les maîtres mots pourraient être : Expérimentation, autonomie et liberté pédagogique.

À propos d’autonomie des établissements, Nathalie Mons, qui intervient régulièrement dans l’émission, propose un point de vue “d’empêcheur de tourner en rond, pour lutter contre certaines formes de pensée unique”. “Les candidats à la présidentielle proposent des mesures manichéennes, alors que l’UMP renvoie des décennies en arrière“. La  re-création de postes proposée par le PS est une “mesure vintage sans qu’on en devine les finalités“. Les mesures qui rassemblent portent sur la maternelle mais aussi sur l’autonomie des Ets scolaires. “Il existerait une solution miracle qui après des années d’errance […]. On opèrerait un transfert à des acteurs locaux (les nationaux n’avant plus d’idées) parce que locaux sont plus proches de la réalité“.
N. Mons rappelle que les travaux de recherche  montre qu’il n’y a rien qui fonde ce transfert : il coûte plus cher, il fait apparaitre une forme de népotisme, il n’y a rien de probant pour les élèves; ces politiques conduisent à un renforcement des inégalités (l’Angleterre et d’autres sont revenu en arrière). “Mais résultats de la recherche n’ont jamais ébranlé les politiques“.

Pour JT Lesueur, c’est un  moindre déséquilibre à rechercher. On peut vouloir l’autonomie, mais la France est encore loin de la situation finlandaise pour une mise en place réussie. “Si on ne veut pas remettre en cause tabous et totems, on n’avancera pas“.
Pour L. Bigorgne, qui s’attache aux faits, l’autonomie des établissements peut être favorable à l’empowerment (effet de bottom-up) mais il n’a pas vu un seul article qui démontrerait que d’avantage d’autonomie aiderait à mieux apprendre à lire. Il revient sur l’importance de l’effet maître accessoirement sur l’effet temps, précisant que les effets souhaités d’autonomie et gouvernance coûtent cher . Il faudrait avant tout garder comme objectif prioritaire la réduction des difficultés de lecture dans les 5 ans. Si l’autonomie induit la création de postes administratifs, ça ne sert à rien, c’est la qualité des enseignants qui est la plus importante. I. Ferhat prend comme exemple le ratage de la réforme des lycées :  il s’est agit au final de gérer la pénurie : les moyens ont été  engloutis dans la réforme de la seconde. Rendre les établissements et les enseignants responsables de leurs résultats induit des effets négatifs :  classement, concurrence, effets de l’assouplissement de la carte scolaire.
Pour J. Tovar, la bataille actuelle autour de l’autonomie des établissements n’a rien à voir avec la pédagogie, il s’agit d’une problème économique et politique.

Pour conclure : que dire du  rapport à l’école, de l’ individualisation ? De l’idée de l’école pour tous, creuset du mélange social ?
Pour J. Tovar, la démocratisation n’a pas réussi son objectif de donner l’accès à la connaissance pour tous. Il est inutile de vouloir continuer ce qui n’a pas marché pendant 50 ans. Il faut centrer le problème sur l’acquisition des savoirs (plutôt que parler de  compétences). Parler de “compétences qui ne soient pas assises sur des savoirs, c’est se moquer du monde“. Il réfute idée que selon la règle de l’école obligatoire s’arrêtant à 16 ans, il faut donner à ceux qui sortent à cet âge là  des compétences pour se débrouiller dans la vie. Le GRDS prône  un tronc commun jusqu’en 1ère, après acquisition d’une culture générale de très haut niveau pour tout le monde. Terra nova, reste sur l’idée d’une école unique de 6 à 16 ans.

Pour compléter de compte-rendu, un rapport publié par le mouvement belge Changements pour l’égalité : “La remédiation scolaire : une politique du sparadrap?” (S. Grosjean, décembre 2011). Ce rapport fait suite à un travail réalisé par CGé et la Fondation roi Baudoin . Au delà de l’avis des élèves et des enseignants sur la remédiation, on lira sans doute avec intérêt, les éléments figurant en fin de rapport (P. 38 et suivantes) :
– “Agir en classe”, qui nous rappelle l’importance de ce qui se fait en classe, du changement pédagogique inévitable (rapport à l’erreur, apprendre à apprendre);
– “Agir sur le système”, qui propose comme certains des Think Tank présents à l’émission un continuum pédagogique : ” Pour sortir de la logique dans laquelle l’enseignement fondamental prépare pour le secondaire général qui prépare lui-même pour l’université (et que tout ce qui sortirait de cette logique déchoit), il faudrait que ce tronc commun ouvre sur toutes les dimensions des apprentissages qu’ils soient manuels, artistiques, relationnels, moteurs, et intellectuels. Il ne s’agit pas de préparer à des métiers, mais bien d’ouvrir tous les enfants à tous les types de savoirs“.

Voir aussi :  N. Cobbaut. “La remédiation scolaire en Communauté française. Quelles pratiques en vue de réduire l’échec scolaire ?“, rapport de la Fondation roi Baudoin, octobre 2011 (PDF, 874 KB).

 

 

 

 

 

 

 

Se préparer aux tests… et ignorer le reste !

On sait qu’un travers des tests et examens scolaires consiste à ce que les enseignants comme les élèves concentrent leurs activités sur les connaissances et les disciplines qui sont évaluées, délaissant les autres objets d’enseignement.

Un rapport de Nathalie Mons au réseau européen Eurydice avait ainsi livré en 2009 une synthèse intéressante des savoirs sur les effets théoriques et réels de l’évaluation standardisée. Elle y montrait notamment que c’est surtout le fait de faire des tests à grande échelle “à forts enjeux”  pour l’évaluation des élèves, des enseignants ou des étudiants qui altère le bon fonctionnement des écoles.

Norberto Bottani relève sur son blog  un effet pervers particulièrement caricatural de la politique de multiplication des tests au Texas. Dans une école, la politique de l’établissement a consisté à concentrer tous les enseignements sur les mathématiques et la lecture, et eux seuls,  afin que les élèves  (third grade : autour de 8-9 ans) soient particulièrement performants dans ces  deux domaines qui comptent pour les tests de l’état (Texas Assessment of Knowledge and Skills Test).  L’établissement était ainsi devenu l’un des meilleurs du Texas… pendant que ses élèves ignorait tout des sujets qui ne rentraient pas dans les exercices de mathématiques ou de lecture.

Comme l’obsession de la performance avait en outre conduit cette école à diverses falsifications pour gonfler les résultats de ses élèves, un rapport a été commandité qui a dénoncé  les dérives de l’établissement.

De tests censés inciter les écoles à améliorer l’apprentissage de leurs élèves, on était passé à des écoles cherchant pas tous les moyens à améliorer leurs résultats aux tests. D’où l’intérêt de réfléchir à deux fois avant de multiplier les instruments de contrôle et d’évaluation des performances scolaires…

L’autonomie des universitaires face aux financements sur projet

Oui, la montée en puissance des financements sur projet dans un environnement concurrentiel est vécu comme une contrainte voire un fardeau par les chercheurs, fardeau qui pèse sur leur agenda scientifique.

Il n’est pas rare que des universitaires se plaignent de passer de plus en plus de temps à « courir » après les contrats de recherche ou les appels d’offre pour trouver des financements. La dépendance liée aux financements sur projets, parfois liés à des collaborations industrielles, est parfois dénoncée comme un facteur majeur de perte d’autonomie scientifique susceptible de mettre en cause la liberté même de la recherche.

La création de l’Agence nationale de la recherche (ANR) en 2005 a en effet mis en lumière, en France comme ailleurs, le recours croissant aux financements sur projets des activités de recherche par rapport aux dotations récurrentes assurées par les dotations des ministères et des institutions publiques de recherche (CNRS, INSERM, INRIA….).

Pour autant, peut-on en inférer une tendance à la « déprofessionnalisation », où les universitaires perdraient ainsi progressivement une des marques distinctives de ce qui fait une « profession » (au sens sociologique du terme), à savoir une forte autonomie dans la définition des moyens et des finalités de leurs activités ?

C’est une des questions que pose Julien Barrier  dans un récent article paru dans la revue Sociologie du travail (n° 53, 2011), en conclusion d’une enquête menée dans le domaine de la recherche en électronique et micro/nanotechnologies.

Après avoir interrogé plus d’une centaine d’acteurs, compulsé diverses sources (notamment bibliométriques) et étudié en profondeur deux grands laboratoires, le chercheur apporte une réponse nuancée.

Non, elle ne se traduit pas mécaniquement par une perte mécanique d’autonomie : les chercheurs reconfigurent leurs activités et mettent en œuvre des stratégies pour concilier ces contraintes avec le maintien d’une autonomie dans le choix et le pilotage de leurs recherches.

Plus que d’une perte de professionnalité, la nouvelle donne se traduirait plutôt par une nouvelle forme de professionalité.

Parmi les changements qu’on peut repérer, il y a notamment tout un travail de réponse aux appels d’offre qu’on pourrait qualifier de massivement parallèle, consistant à faire le lien entre les opportunités de financement et les priorités scientifique de son laboratoire. Travail d’articulation qui, autrefois plutôt réservé aux patrons ou mandarins de labos, devient largement plus distribué et partenarial en impliquant les jeunes chercheurs, à qui sont déléguées plus de tâches.

Il s’agit ici de se positionner sur des appels « alimentaires » qu’on pense pouvoir assurer facilement à partir de travaux antérieurs, là de s’investir sur de nouveaux projets qui permettront de recruter des docteurs pour porter et développer de nouvelles thématiques, là encore de juste faire de la figuration dans un concours sans trop d’espoir de succès, mais avec le souci de rester présent dans l’arène pour ne pas être oublié « le coup d’après ».

Au final, le laboratoire doit disposer d’un portefeuille de projets d’importance et de portée variables dans lesquels s’investir, mais qui dans leur globalité permettent d’assurer un financement des différentes recherches, en préservant sa capacité d’orientation et de définition de ces recherches.

L’enquête de J . Barrier a sans contexte un intérêt qui dépasse de loin le seul cadre du domaine qu’il a étudié puisqu’on retrouve dans toutes les disciplines, à des degrés divers, cette problématique de la montée en puissance des financements sur projet des recherches universitaires.

Julien Barrier (2011). ” La science en projets : financements sur projet, autonomie professionnelle et transformations du travail des chercheurs académiques”, Sociologie du travail, n°53, pp 515-536
Crédit photo :Idaho National Laboratory via photopin et CC

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Innovation et créativité en éducation

Évoquer une éducation créative et innovante n’a rien… d’innovant, précisément.  Régulièrement invoquées dans certaines politiques éducatives et dans les documents d’orientation d’organisations internationales comme l’OCDE ou la commission européenne, les notions d’innovation et de créativité, proches et complémentaires, voire interdépendantes, restent encore éloignées de l’enseignement au quotidien.

Le Dossier d’actualité – Veille et Analyses, n° 70, mis en ligne en ce début janvier,  interroge sur une  évolution pédagogique, recommandée, espérée et dynamisante de l’éducation.

Sans revenir sur « l’Année européenne de la créativité et de l’innovation en 2009 », initiative de l’Union européenne,  nous nous sommes appuyés sur des rapports d’experts et des débats de chercheurs, qui définissent la créativité comme la « capacité à proposer de nouvelles solutions, de nouvelles visions pertinentes des choses » (Taddéi, 2010).

Bien souvent l’idée de créativité dans l’enseignement est associée aux disciplines artistiques ou « créatrices » : arts plastiques, musique. Une éducation essentiellement formelle, s’accommode mal de ces concepts flous de créativité et d’innovation. Il est malaisé de s’appuyer sur une structuration disciplinaire stricte, des évaluations certificatives en fin de niveau et  envisager simultanément une pédagogie innovante et un apprentissage créatif, ou chacun pourrait développer ses talents, compétences et savoirs à son rythme et selon son imagination.

Il ne s’agit pas d’opposer le savoir à la créativité, les disciplines à l’interdisciplinarité, il faut doser l’usage des pratiques qui fonctionnent dans l’enseignement transversal et celui de pratiques « nouvelles », qui facilitent les apprentissages de tous.

La créativité dont il est ici question n’est pas une simple agilité intellectuelle, elle s’apparente à une façon de vivre et pas uniquement de penser (Sternberg, 2003). Plus ou moins clairement exprimée dans les compétences transversales pour l’éducation et la formation tout au long de la vie, la créativité  est invoquée au côté de l’esprit d’entreprise ou autre aptitude réclamée sur le marché du travail.

Plusieurs enquêtes ou rapports permettent de mettre en lumière les déclarations institutionnelles et la réalité du terrain, aussi bien dans les curricula que dans la formation des enseignants ou les modes d’évaluation des pratiques  et apprentissages innovants et créatifs.

À consulter, par exemple : le projet  Creativity and Innovation in Education and Training in the EU27 (ICEAC), porté par l’Institute for Prospective Technological Studies (IPTS)
En France, la notion d’innovation est souvent associée à l’expérimentation. En 2005, un dispositif au niveau national d’innovation et d’expérimentation a été mis en place afin d’accompagner les « innovations et expérimentations » proposées par des équipes éducatives dans les écoles et collèges français. Un Vade-mecum, sorte de guide méthodologique pour faciliter l’accompagnement des ces équipes dans leurs pratiques a été publié à l’automne 2011.

Cette approche, qui reste dans les limites d’un enseignement formel, calé sur des évaluations certificatives reste quelque peu décalée de l’approche envisagée dans les années 1960 par le mouvement Freinet, le Groupe français d’éducation nouvelle, etc. Trente ans plus tard, le bilan des innovations identifiées comme telles par plusieurs rapports de l’Inspection générale ou par des analyses de chercheurs est contrasté et fait état d’une certaine rareté des pratiques pédagogiques réellement innovantes.

De notre revue de littérature, nous avons retenu qu’on peut « catégoriser comme innovation des dispositifs assez différents : classes relais, modules de seconde, travaux personnels encadrés, itinéraires de découverte, aide individualisée en seconde, variation des groupes d’élèves, dispositifs d’éducation prioritaire, écoles de la seconde chance, utilisation des TICE, établissements expérimentaux, nouvelles organisations du temps scolaire, apprentissage différent des langues vivantes, utilisation des bibliothèques et centres documentaires, apprentissage par expérimentation (“la main à la pâte”), tutorat, mallette des parents… »

Dans d’autres pays, les innovations, développées dans le cadre de dispositifs nationaux ou locaux, s’appuient plus ou moins fortement sur les TICE (comme l’a montré le sommet WISE , sommet mondial pour l’innovation en éducation) mais aussi sur des réformes curriculaires, des partenariats avec les collectivités locales, les parents, et surtout des initiatives donnant toute leur place aux élèves, dans des projets de type constructivistes, laissant, comme en Finlande une large autonomie aux établissements.

Pour prendre un peu de hauteur, reprenons quelques idées abordées par F. Taddéi rédigé pour l’OCDE, en 2009 : l’école doit être une organisation apprenante; il faut passer d’une école immobile à une adaptabilité des modèles éducatifs; l’école n’a plus le monopole des savoirs; on observe un déplacement du rôle de la transmission (transmission des savoirs, des informations, des méta-savoirs ; l’enseignant devient un spécialiste de la découverte des savoirs, il doit créer des liens entre différentes portions de savoirs (interdisciplinarité); l’enseignement est trop normatif; l’enseignant doit savoir se remettre en question, expérimenter, encourager les pionniers, ouvrir des espaces de liberté, favoriser les échanges, la réflexion personnelle, la créativité; enseignant et apprenant doivent prendre des risques, apprendre à créer, à échanger, apprendre l’exigence, bref, être inspirés et motivés par l’acte d’apprendre.