Comment les enseignants apprennent-ils avec les TIC ?

Si la littérature scientifique sur la formation continue des enseignants est abondante, peu de recherches éclairent actuellement la manière dont les enseignants apprennent avec les TIC. Bien au contraire, tout se passe comme si l’omniprésence de ces mêmes technologies suffisaient à garantir les usages qu’ils soient individuels ou professionnels.
Si certains enseignants ne manquent pas de faire preuve d’initiatives, le processus culturel et institutionnel qui sous-tend cet apprentissage avec les TIC et qui n’est pas sans implication sur l’identité et le rôle des enseignants, reste largement méconnu.

La question mérite donc d’être explorée plus avant et c’est à cet exercice que se sont livrés Tony Fisher, Chris Higgins et Avril Loveless dans une revue de littérature publiée par Futurelab en septembre 2006, intitulée Teachers Learning with Digital Technologies : A review of research and projects.

La première question abordée dans cette 14e revue de littérature porte sur les multiples formes de connaissances en jeu et sur la nature de l’apprentissage chez l’enseignant, qui ne peut être réduit à une simple disposition individuelle plus ou moins transférable dans les pratiques professionnelles. L’examen des principales recherches sur ce thème offre d’ailleurs une forte convergence de vue : l’apprentissage doit au contraire être appréhendé dans sa complexité et être perçu comme un processus expérimental et éminemment social dans lequel la connaissance est explicitée, construite et révisée, même si les apports conceptuels ont potentiellement un rôle incitatif à jouer.

Teacher learning is subject to many influences. It is best seen as complex and resistant to standardisation. This complexity reflects the interplay between the professional and the personal, the individual and the social, the objective and the subjective, the formal and the informal, the situated and the generalised.

Le modèle élaboré par Lee et Judith Shulman dans leur article How and what teachers learn: a shifting perspective (Journal of curriculum studies vol. 36 n°2, 2004), s’inscrit pleinement dans cette perspective : selon eux, l’apprentissage chez l’enseignant relève d’une triple dimension qui nécessite d’être à la fois disponible, volontaire et capable (“ready, willing and able”) et qui se décline selon les notions suivantes : “vision”, “motivation”, “capability” (“understanding” + “practice”), “reflection” et “community”.

Dans un deuxième temps, les auteurs s’interrogent sur les affordances des TIC, autrement dit sur les propriétés susceptibles de soutenir l’enseignant-apprenant dans son activité. Ils proposent les 4 clusters suivants :

• construction de connaissances : adapter et développer des idées, modéliser et représenter de façon dynamique et multimodale,
• cognition distribuée : accéder à des ressources, vérifier des informations, présenter et écrire à l’aide d’outils dédiés,
• communauté et communication : échanger et partager de l’information, élargir ses activités, participer à des communautés locales et globales,
• engagement : explorer et jouer, intégrer les risques et les incertitudes, travailler de façon interactive, être réactif.

L’étape suivante de leur analyse consiste à examiner les corrélations potentielles entre ces clusters et les 5 composantes clés du modèle de Shulman, à l’aide des questions suivantes :

• vision : comment les TIC soutiennent-elles le développement des représentations des enseignants sur l’éducation ?
• motivation : comment les TIC peuvent-elles encourager les enseignants à apprendre et développer leurs pratiques ?
• understanding & practice : comment les TIC favorisent-elles la compréhension de leurs métiers et l’évolution de leurs pratiques professionnelles ?
• reflection : comment les TIC encouragent-elles plus généralement l’attitude réflexive des enseignants ?
• community : comment les TIC encouragent-elles les communautés de pratique ?

Si la confrontation de ces deux cadres théoriques montre que les TIC peuvent contribuer de manière effective à soutenir l’apprentissage des enseignants, les 5 études de cas présentées ensuite, issues des dispositifs mis en oeuvre par le gouvernement britannique, permettent d’appréhender concrètement la validité de cette hypothèse :

1. des portables multimédia pour les enseignants : multimedia portables for teachers project (MTPT, 1998)
2. communautés de pratiques pour les directeurs d’établissement : Talking Heads community (1999), maintenant intégrée à la plate-forme communautaire Talk2learn mise en place par le National College for School Leadership (NCSL)
3. formation continue sur l’usage des TIC en primaire avec mise à disposition de matériel pédagogique numérique : une expérience pilote avec les sciences et étendue depuis 2004 à toutes les disciplines et au niveau secondaire, dans le cadre du programme ESTUICT (enhancing subject teaching using ICT) ; voir aussi le Practical support pack sur le site Teachernet
4. formation initiale des enseignants :- via un ENT (VLE de l’Oxford Brookes university institute of education) – via des cours interactifs en vidéoconférence : teaching and learning observatory network (TLO) à la school of education de l’université de Nottingham – via des PDA (university of Bristol graduate school of education) : voir le bilan du projet (pdf) présenté à la 4e conférence internationale sur le Mobile Learning
5. une chaîne de télévision dédiée aux enseignants : Teachers’ TV (depuis février 2005) avec une partie des programmes directement consultables en ligne

Des initiatives tout à fait intéressantes qui questionnent les relations entre la professionnalité enseignante et les TIC bien au-delà de ses aspects strictements instrumentaux. Selon les auteurs en effet, considérer la formation – initiale et continue – des enseignants sous le seul angle de la “boîte à outils” limiterait de fait sa portée et l’intégration effective des TIC dans les pratiques. Il conviendrait plutôt de réfléchir à un nouveau cadre, tenant compte de ces incertitudes constitutives de l’essor des TIC, avec un objectif plus ambitieux qui viserait un réel changement culturel dans les pratiques enseignantes.
Penser une telle refondation à moyen terme représente indubitablement un véritable challenge, déjà relevé par exemple par des chercheurs tels que Ivor Goodson et Andy Hargreaves, depuis la parution en 1996 de leur ouvrage Teachers’ professional lives…

En complément, on pourra aussi consulter l’article Teaching the teachers : is CPD equipping our teachers for a technological world ? publié également par Futurelab en juin 2006, qui offre un panorama critique des dispositifs du gouvernement britannique sur la formation des enseignants.Le site de FutureLab, organisation à but non lucratif basée à Bristol en Angleterre, mérite par ailleurs le détour. Les activités de ce “think tank” sont centrées sur l’éducation du futur et en particulier sur les pratiques innovantes en matière de TIC, dans un souci constant d’articuler les avancées technologiques, les expériences de terrain et les résultats de la recherche. La collection des literature reviews ne constitue qu’une des ressources incontournables de FutureLab.

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